Article 2~ POURQUOI UNE PEINTURE SE DEFORME-T-ELLE ?

Introduction

Pendant l’exposition Lux S 10030334 Orsay vue par Christodoulos Panayiotou à Orsay, des problèmes de tension sont apparus sur une des peintures provoquant des plis disgracieux.

L’oeuvre est constituée d’une toile fine de coton imprégnée d’un jus extrait de vernis et de crasses provenant du nettoyage et décrassage des peintures en cours de restauration.

La toile de coton est fine. Lorsqu’elle est imprégnée de ce jus, elle devient translucide. Pour occulter le châssis, une toile blanche de coton préparée a été tendue. Le jus est appliqué une fois le montage des toiles sur un châssis à clefs traditionnel Marin. La «peinture » se présente comme un monochrome couleur ambre de dimensions 81/92 cm.

Le climat de la salle a été mis en cause, mais comme aucun enregistrement de l’humidité et de la température n’a été fait, cette raison reste à l’état d’hypothèses. C’est en vue d’éclaircir ce problème une étude approfondie a été envisagée pour comprendre les mécanismes de déformations de ce type spécifique de peinture.

Le comportement mécanique de cette peinture a été étudié en partant d’un modèle réduit de celle-ci. Le LARCROA ayant été collaborateur de l’artiste pendant la mise au point de sa technique, il a pu reproduire ce modèle uniquement à des fins expérimentales, dans le cadre de notre étude.

L’étude comporte 2 parties :
1- Caractérisation des propriétés mécaniques de la peinture.
2- Etude du comportement mécanique vis-à-vis de l’humidité et de la température.

Caractérisation des propriétés mécaniques de la peinture à humidité et température constantes.

Nous avons comparé les propriétés de la toile de coton vierge à la toile de coton imprégnée. L'essai de traction permet d'obtenir les résultats suivants.


Les toiles sont des matériaux qui ne sont pas parfaitement homogènes. Les résultats obtenus à partir d’un essais en traction ne sont pas suffisants pour avoir une valeur statistiquement significative. Néanmoins ils permettent de mettre en évidence les différences de comportement de la toile de coton modifiée par l’imprégnation de vernis.

La contrainte à la rupture de la toile de coton imprégnée est plus faible (28/36,2 MPa) et l’allongement à la rupture de la toile imprégnée est plus grand (12,281/13,55). A priori l’imprégnation de la toile de coton d’un vernis a légèrement diminué sa résistance à la rupture et l’a rendu plus élastique.

L’essai de fluage consiste à appliquer à l’échantillon de peinture une charge constante et de suivre l’évolution de la déformation dans le temps. Cet essai permet de mettre en évidence les caractéristiques viscoélastiques de la peinture.

 

 

La charge appliquée à l’échantillon correspond à la tension normale d’une peinture sur un châssis de 24 daN/m. Sous l’effet de cette tension instantanée la déformation élastique est de 0,61%. Cette partie de la déformation est réversible.

La déformation différée se stabilise à 3,20 mm au bout de de 33 minutes et reste constante dans le temps dans des conditions d’humidité et de température constantes. Libérée de sa charge de tension, une partie de la déformation de l’échantillon va se résorber et une déformation de 1,16% restera permanente. Cette peinture à une certaine sensibilité au fluage et aux déformations permanentes sous l’effet de la tension.

Comportement mécanique de la peinture vis-à-vis de l’humidité et de la température.

Pour analyser l’impact des variations d’humidité, la peinture a été maintenue sous une tension de 24 daN/m, et soumise à des cycles de variation d’humidité durant 18 heures.

 

 

La déformation instantanée n’est pas tributaire des cycles d’humidité. Elle est comprise entre 0,61% – 0,69%. Par contre la déformation différée ou viscoélastique de la peinture soumise aux cycles d’humidité est influencée par les variations d’humidité. La courbe devient parallèle à une asymptote horizontale, c’est-à-dire que le fluage se stabilise au bout d’environ 20 heures au lieu de 33 minutes.
Contrairement à l’essai de fluage à température et humidité constante la courbe est discontinue. Cette discontinuité est liée aux variations d’humidité. Les variations d’humidité ont une légère influence sur la stabilité de la peinture. Après 18 heures de fluage la déformation varie faiblement et entre 900 et 1140 heures la courbe oscille autour de 3 mm de déformation.

La superposition de la courbe de fluage de la peinture et des cycles d’humidité confirme l’impacte de l’environnement sur la peinture. A humidité élevée la peinture a tendance à s’allonger et inversement. Pour un accroissement de plus de 40% HR les allongements-retraits sont de l’ordre de 0,058 mm.

 

Impact des variations de l’humidté sur les dimensions de la peinture tendue.

Un autre essai sur le cadre métrologique permet de mesurer les variations dimensionnelles biaxales de la peinture soumise à des cycles de d’humidité.
La peinture est montée sur un châssis équipé d’un système STAR avec une tension moyenne d’ordre de 20 daN/m. Le système STAR laisse à la peinture la possibilité de se rétracter ou de se détendre.

 

Cette liberté de mouvements est enregistrée par 5 palpeurs LVDT d’une précision de + 1 µm. Les palpeurs C1 et C2 s’appuient sur le bord supérieur et les palpeurs C3, C4, C5 sur le bord droit. La peinture est soumise pendant 24 heures à des cycles d’humidité allant de 78 à 43 % HR. L’instrumentation est gérée par le système ORBIT. Les données – température, humidité, déplacement de chaque palpeur, sont enregistrées dans un fichier Excel.

Nous avons 6 cycles complets de variation d’humidité. Chaque variation de l’humidité provoque un déplacement. L’humidité et les déplacements sont enregistrés toutes les 60 secondes. Les résultats sont présentés sous la forme d’un graphe et les valeurs statistiques sont regroupées dans un tableau.

 

 

Les déplacements, allongements ou retraits, ne sont pas tout à faits synchronisés par rapport aux variations d’humidité. Les retraits de la peinture s’effectuent plus lentement que les allongements. Malgré tout on peut remarquer une tendance qui se définit ; quand l’humidité diminue la peinture se rétracte et inversement. Le sens vertical de la peinture est légèrement plus réactif que le sens horizontal. La valeur des déplacements, allongements, retraits, reste quasiment égale à elle-même pendant les 20 heures de cyclage de l’humidité relative ce qui nous mène à penser que la sensibilité à l’humidité ne diminue pas sur du moyen terme.
La peinture tendue sur le cadre métrologique enregistre des écarts dimensionnels de très faibles amplitudes; de l’ordre de 14,9 µm dans le sens vertical et de 11,8 µm dans le sens horizontal. Cet essai témoigne de la faible sensibilité de cette peinture à l’humidité. Cette propriété est confirmée par le diagramme de sensibilité à l’humidité.

Sensibilité de la peinture à la chaleur et à l’humidité.

La sensibilité de la peinture à la chaleur et à l’humidité est représentée par des diagrammes. Ils sont construits expérimentalement selon une procédure de relaxation sur une machine UTM et une enceinte climatique programmable. Les données sont traitées pour obtenir un diagramme de sensibilité à la chaleur ou à l’humidité.

Soumise à une variation de température de 15 à 60°C les tensions de cette peinture varient de 19,7 à 26,3 daN/m soit une différence de 6,9 daN/m. C’est entre 15 et 20°C que les écarts de tension sont les plus importants.
Pour un écart de 10 à 90% d’humidité, les tensions varient entre 27,8 et 25,6 daN/m soit une différence totale de 2,2 daN/m. C’est entre 10 et 50%HR que l’écart est majeur.
Cette peinture est très sensible aux variations de température ambiante comprises entre 15°C et 20°C.

Conclusion

Les essais en traction ont permis d’évaluer les propriétés physico-mécaniques de la peinture.

La sensibilité de la peinture aux fluctuations de l’humidité est relativement faible. Sur une durée de 20 heures de cycles d’humidité, les déplacements, allongement, retraits sont de très faibles amplitudes, mais le fluage augmente.
La sensibilité de cette peinture à la température est plus élevée. Des variations de tensions peuvent apparaître si la température ambiante fluctue entre 15 et 20 °C. La sensibilité de la peinture à la chaleur et au fluage, pourrait être responsable des problèmes de déformation de la peinture.
Il est vraisemblable que dans ces lieux publics, la différence de température entre la période diurne, ouverte au public, soit plus chaude (20 à 25°C) et la période nocturne soit plus froide (15 à 20°C). Ces variations de température se traduiraient par une perte de tension de la peinture sur son châssis à clefs et la formation de plis.

Suite à cette étude, pour éviter ce problème, nous avons recommandé de tendre cette œuvre sur un châssis à tension auto-régulée STAR et de la conserver dans des conditions environnementales standard, c’est-à-dire : humidité relative de 55+ 5% et température de 20+2°C.

 

Alain Roche.

 

 

 

 


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